Le pont de HYENVILLE

Le passage de la Sienne s'effectue à Hyenville depuis l'âge des cavernes, enfin presque, déjà à l'époque romaine un gué existait sur la voie qui reliait Saint-Lô à la mer. Le gué ne devait pas donner entière satisfaction pour traverser un cours d'eau dont le débit peut varier de 2 m³/seconde en période estivale à 21 m³/seconde l'hiver. Les premières constructions furent sans doute en bois et le document le plus ancien qui évoque le pont de Hyenville date de 1447. Il s'agit d'un mandement des gens de compte à Rouen qui concerne la requête des habitants de la "ville et vicomté de Coutances" qui s'inquiètent de savoir si les réparations du pont seront prises en charge par les habitants ou par le roi.

Le pont qu'on peut observer sur les anciennes cartes postales remonte au moins au XVIIème siècle. La construction ne manquait pas de charme avec sa forme en dos d'âne et ses piliers massifs séparant des arches étroites. Néanmoins dès le début du XXème siècle, on envisagea sa démolition et son remplacement. Les usagers se plaignaient notamment de la faible largeur du tablier qui ne permettait pas le croisement de deux véhicules et de la disposition du pont qui obligeait à tourner pratiquement à angle droit quand on venait de Granville (l'ancien pont se trouvait dans l'alignement de l'accès kayak actuel, visible sur le cadastre communal de 1826). On se plaignait également de la largeur des piliers qui en freinant l'écoulement formaient barrage et retenue en période de crue. Le déclenchement de la première guerre mondiale entraîna l'arrêt du projet. Vingt ans plus tard, le renouvellement des plaintes incita l'administration à réouvrir le dossier. Le projet suscita l'opposition des amoureux du site (le poète Louis Beuve, l'historien Vivier et l'écrivain Charles de la Morandière), la guerre une nouvelle fois reporta le projet.

La gare et le pont furent la cible de plusieurs attaques aériennes et le pont fut endommagé par les bombardements. On installa une passerelle en bois en attendant la construction d'un nouveau pont plus adapté à la circulation automobile puis, après l'édification de la nouvelle construction, on supprima complètement les vestiges de l'ancienne afin de faciliter l'écoulement des eaux.

Le pont de Hyenville n'est pas celui d'Arcole et faute d'avoir été le théâtre d'événements historiques, on ne peut relater que quelques anecdotes qui s'y sont déroulées.

Sur un des parapets du pont, se trouvait une croix de granit à mi-distance des deux rives ; elle fut en 1905 victime de quelques vandales qui réussirent à la desceller pour la faire basculer dans les eaux de la Sienne. Monseigneur fut informé de cet acte d'impiété et le procureur itou, l'ingénieur envoya quelques cantonniers repêcher la croix qui fut replacée au même endroit mais pour "racheter" l'acte sacrilège, Monseigneur invita la population à faire amende honorable lors d'une cérémonie religieuse.

Au XIXème siècle, sous la monarchie de Juillet, la propriété de la Girardière du Haut était occupée par Caroline l'Heure, fille du maire qui fut guillotiné sous la Révolution. On peut avoir pour cet homme une pensée compatissante et espérer que jamais ne revienne ce temps barbare où la peau d'un élu ne valait guère. Caroline avait fréquenté la jet set parisienne de l'époque avant de revenir se retirer sur ses terres, d'un tempérament bien trempé, elle n'hésitait pas à circuler de nuit sur la route de Coutances, armée d'ailleurs, pour faire face à une éventuelle mauvaise rencontre. On raconte que son cheval effrayé lors d'une traversée de la rivière enjamba le parapet du pont et que la plongée dans la Sienne fut évitée par le blocage du coupé contre le mur. La population s'empressa de venir sortir la "dame de Hyenville" de ce mauvais pas.

 C. Dolley